Le théorème de Neil Young
L’autre jour, j’étais dans un bar du côte de Marne la Vallée. J’avais passé la journée avec mes enfants à faire le zouave sur les manèges d’Eurodisney. Il était minuit, la musique était country, j’en étais à mon quatrième Southern Comfort quand j’ai aperçu à une vingtaine de mètres, seul, à sa table, un type aux cheveux rares et filandreux, à la barbe grise, portant une chemise à carreaux et des tiags élimées. Je me suis frotté les yeux. C’était Neil Young. Je l’ai montré à Lefred qui m’avait accompagné. Il en a craché son cigare. Ce n’était pas un mirage. L’alcool brisant les inhibitions, je me suis approché. Le gars était encore plus bourré que moi :
- Pardon, vous ressemblez vraiment à Neil Young…
- I know, i’m Neil Young, a fait le gars.
Il avait une voix rocailleuse et un accent canadien. Comment Neil Young, le Neil Young d’Harvest , pouvait-il se retrouver un samedi de décembre 2002 à Marne la Vallée ? Il avait peut être une nana dans la troupe de danseurs country qui animait la soirée. J’étais perdu dans mes réflexions, fixant Lefred aussi perplexe que moi quand le gars s’est marré :
- Mais non, je ne suis pas Neil Young bande de tapettes, je lui ressemble c’est tout. Vous me payez une bière ?
Il parlait sans accent. J’étais incapable d’articuler un mot.
- Je m’appelle Jean Pierre Mercier, j’habite Lyon, j’attends ma nana qui s’est barrée depuis une heure. Fait chier…
Constatant ma stupeur et mon incrédulité, le gars a sorti sa carte d’identité. Je me suis excusé, lui ai payé une bière et suis allé me rasseoir. Lefred s’est rallumé un cigare et on a recommandé deux Comfort:
- Je le savais, c’était trop gros.
- C’est dingue cette ressemblance. S’il ne m’avait pas montré sa carte d’identité, je ne l’aurais pas cru
- T’es sûr que c’était une vraie carte ?
- Arrête…
- Non, imagine, a poursuivi Lefred, t’es Neil Young. Tu te lèves une petite nana et tu ne veux pas qu’on t’emmerde. T’as la carte…
- Ce gars était français. Ça ne fait aucun doute.
On sirotait nos verres en silence. Les enfants étaient couchés. J’étais dans cette sale période où les huissiers jouaient au grand embouteillage devant mon bureau. Ils m’amenaient les plaintes que déposaient contre moi Clearstream, la BGL et la Menatep dans tous les pays où mon livre était sorti. Les danseurs country faisaient des prouesses. Le sosie de Neil Young levait sa bière dans notre direction. J’ai réfléchi à ma situation. Quand vous faîtes une incroyable découverte, que vous pensez qu’un événement est unique et change les représentations collectives de vos contemporains, que vous avez épuisé les recours pour vérifier vos hypothèses. C’est aux autres, ceux qui ne vous croient pas d'expliquer pourquoi vous vous trompez.
Nous avons découvert un point de passage névralgique pour ceux qui cherchent à dissimuler des transferts de fonds vers l’étranger. Pour la première fois, une enquête a permis de repérer les contours d’une finance parallèle.
La multinationale et les banques sont protégés par les législations des paradis fiscaux. Elles profitent de ces no man’s land judiciaires pour feindre l’étonnement et assurer que nous nous sommes trompés. Leurs avocats veulent faire croire à un mirage journalistique. Mais il n’en n’est rien.
Selon notre principal témoins (dont les affirmations sont recoupées par une mission d’enquête parlementaire), des informaticiens créaient régulièrement de fausses pannes informatiques visant à effacer la trace de milliers de transactions. Clearstream, si prompte à dégainer les plaintes, n'a jamais poursuivi notre témoin sur cet aspect explosif de nos révélélations.
Quand on sait qu'elle gère plus de 30 000 comptes inscrits dans plus de cent pays, qu’elle est en situation de quasi monopole, qu’elle compte parmi ces clients et ex-administrateurs les plus grandes banques de la planète, qu’elle brasse en une année plus de 250 fois le budget de la France, on peut être dans le même état qu'en découvrant Neil Young un soir de décembre à Marne la Vallée.
Sauf que ce n’est pas un mirage mais la réalité.
Nous avons interpellé la firme, envoyé des lettres recommandées, des mails à la multinationale et aux banquiers l’utilisant subi des dizaines de procès (nous avons gagné les principaux, perdu sur des détails). L’affaire dure depuis six ans. On nous répond par un silence de plus en plus pesant et des menaces. Une bande d’escrocs a manipulé nos documents et nous sommes poursuivis pour vol de documents bancaires, recel d’abus de confiance.
Quelle réponse à cette question : Est-il matériellement possible d’effacer la trace d’un transfert bancaire tout en l’effectuant ? Si une telle manipulation informatique est possible, si les dirigeants de la multinationale n’apportent pas d’éléments tangibles montrant que nous nous trompons, cela prouve que... Neil Young existe.
Là est l’intérêt d’une application pondérée de mon théorème de Neil Young.
Bon disons de Young-Comfort.Vous me suivez ?