22.10.07

YO MAN





Certaines victoires ne donnent pas envie de lever les bras au ciel. Je voudrais revenir sur la décision de la Cour d’appel de Luxembourg de rejeter les demandes de poursuites de la BGL (Banque générale de Luxembourg, filiale aujourd’hui du groupe Fortis) contre nous.
Souvent, les personnes prises au piège de folie judiciaire (c’est mon cas), par manque de recul ou par rage, ne prennent plus la peine de dire calmement et posément ce qui leur arrive (ce n’est pas mon cas).

Dire d’abord que ces deux procédures qui s’éteignent sont deux parmi vingt quatre autres qui se poursuivent. Dire ensuite que si ces procédures concernant la BGL s’achèvent au Luxembourg, elles se poursuivent en France. Nos fortunés adversaires –je parle là de la BGL - avaient multiplié par deux les chances de nous abattre et avaient déposé les mêmes plaintes pour les mêmes motifs en France et au Luxembourg. Clearstream fait pareil mais c’est une autre histoire.

Il faut remonter à mars 2001 pour arriver aux origines de "l’infraction". Pascal Lorent et moi cherchions une preuve matérielle pour montrer que les archives de Clearstream pouvaient être utiles dans la reconstitution d’itinéraires financiers. Nous savions qu’il était possible à l’aide des microfiches de la firme de retrouver une aiguille dans une botte de foin, selon l’expression d’Ernest Backes. Encore fallait-il se retrousser les manches. Ernest Backes s’en est chargé.

Il avait récupéré entre autres les microfiches de l’année 1991. Le 1er juillet 1991, la BCCI, une banque mafieuse, était liquidée suite à une énorme affaire de blanchiment d’argent de la drogue révélée aux USA. Des scellés et des chaînes étaient posées sur toutes les succursales de la BCCI dans le monde. Présente dans une centaine de pays (principalement en Asie), la BCCI, pour des raisons aisément imaginables, avaient basé le siège social de sa maison mère à Luxembourg. Backes est Luxembourgeois. Il savait que les activités de la BCCI s’étaient poursuivies après la fermeture de la banque et de ses filiale. L’étage d’un hôtel de luxe au cœur de Luxembourg avait été loué à cet effet. Il a retrouvé dans ses microfiches à la date du 8 août 1991 cinquante sept transactions pour un montant équivalent à 15 millions d’euros. De la BCCI vers la BGL. Autrement dit, alors que les salariés de la BCCI étaient sans salaires, que ses milliers de clients avaient leurs comptes mis à zéro, des clients anonymes et privilégiés de la BGL avaient récupéré 15 millions d’euros. Voilà notre principale découverte.

Dans notre livre et notre film, nous avions indiqué que cette BGL était présidée par l’administrateur des comptes de la famille royale grand ducale qui avait elle-même l’essentiel de ses avoirs dans cette banque. Sans savoir si des liens existaient entre la BCCI et la famille royale luxembourgeoise (la plus riche d’Europe après la famille princière liechtensteinoise). Nous avions trouvé notre aiguille dans la meule de foin… La preuve que les comptes de Clearstream pouvaient servir à reconstituer des itinéraires financiers et être utiles en cas d’enquête fiscale et judiciaire.

Backes et un ancien juriste de Clearstream nous avaient assuré, devant témoins, que ces virements entre BGL et BCCI, via Clearstream, étaient illégaux. Terme que nous avons repris dans Révélation$ et dans Les dissimulateurs. Avant d’écrire, nous avons envoyé des lettres recommandées demandant des explications sur ces virements aux pdg de Clearstream et de la BGL, ainsi qu’à l’administrateur judiciaire anglais de la BCCI. Aucun ne nous a répondu.

Les juristes et avocats de Clearstream et de la BGL ont vite trouvé la faille dans notre démonstration : le virement que nous pointions n’était pas illégal en vertu du droit luxembourgeois. En effet, un tribunal d’arrondissement de Luxembourg avait autorisé le liquidateur anglais à l’effectuer. L’information selon laquelle des clients privilégiés ont bénéficié de 15 millions d’euros (au détriment de centaines de milliers d’autres) n’est pas en cause ici. On nous a attaqué sur le choix du terme illégal.

Des plaintes en diffamation ont été déposées en France et au Luxembourg dès la sortie du livre et du film.

La BGL a été déboutée en première instance et en appel en France. Elle s’est pourvue en cassation.

Au Luxembourg, la stratégie a été plus pernicieuse. Une juge d’instruction a été chargée d’instruire ce dossier. Elle y a passé du temps, beaucoup de temps, a entendu des dirigeants des trois banques, des policiers, des salariés. Nous n’avons été mis au courant de cette procédure qu’en 2006. Nous avons été "inculpés" pour calomnie, injure et diffamation. J’ai été convoqué deux fois à Luxembourg et longuement interrogé. D’abord pour le livre, puis (comme si on n’avait pas pu me convoquer qu’une seule fois) pour le film. Mon ami Pascal Lorent, co-réalisateur du film, a été lui aussi mis en examen, ainsi que Backes. Ce dernier, à l’origine de "l'infraction", a courageusement assuré qu’il n’était pas responsable de cette information, que nous lui avions extirpé son témoignage. Magnifique dégagement en touche.

Le Parquet de Luxembourg, donc l’Etat luxembourgeois, a absolument voulu correctionnaliser cette affaire. Nous devions passer devant un tribunal où nous risquions une amende de plusieurs dizaines de milliers d’euros pour avoir diffamé la BGL et Fortis (dont le Président belge du Conseil d’administration, responsable au final de cette harcelante procédure, est Maurice Lippens)

Ma première réaction a été de ne pas me rendre à ces convocations. Mais les lettres recommandées et les huissiers se sont invités chez moi et chez Pascal à intervalle régulier. Finalement, sur les conseils de mon avocate à Luxembourg, Christel Henon, nous avons choisi de nous battre sur le plan du droit. Des conclusions ont été rédigées, contredites par les parties adverses, re-rédigées. La décision de vendredi dernier portait sur des prescriptions. La juge d’instruction luxembourgeoise a trop laissé dormir son dossier. Notre livre et notre film sont assimilés à des œuvres de journaliste et le droit international nous a finalement protégés. L’instruction aurait due être plus rapide. La BGL et le Parquet luxembourgeois ont été déboutés. Pascal Lorent, Ernest Backes et moi sommes définitivement blanchis du délit de diffamation sur ces faits précis à Luxembourg.

Tout n’est pas fini pour autant. La BGL vient de gagner en Cassation en France. Et un nouveau procès, toujours sur ce terme d’illégal, sera programmé en France en 2008. Sans que jamais, l’information essentielle (ce "cadeau" de 15 millions d’euros à des clients privilégiés) ne soit mis en cause.Cela devient très difficile et très couteux d'informer quand des puissances d'argent telles Fortis ou Clearstream sont impliquées. Est-il normal de voir l'appareil judiciaire, au Luxembourg comme en France, se mettre en branle avec beaucoup de célérité, dépenser tant d'énergie, pour satisfaire ces groupes financiers au détriment des citoyens?

Je sais que je suis trop long pour un papier sur le net. Je voulais prendre le temps d’expliquer pourquoi ma joie est mesurée à l’annonce de cette victoire. Vous dire aussi que si le comité de soutien n’existait pas et si vos dons ne nous avaient pas permis de nous battre judiciairement à Luxembourg, nous serions perdants aujourd’hui. Et silencieux.

Amicalement
DR

PS : Merci à tous ceux qui nous aident, artistes, chanteurs, humoristes, citoyens, journalistes. Et rendez vous à ceux qui le peuvent le 10 novembre à la Passerelle à Florange pour la show Bedos and co. Surtour réservez vos places par Internet. L’argent sera judicieusement utilisée. http://lesoutien.blogspot.com/

9 Comments:

Anonymous Anonyme said...

Bravo, bravo, bravo, bravo !
Article meme pas long, tout lu d'un seul coup.
Toute la majorité silencieuse ( avec toi/vous, ceux qui t'entourent et te soutiennent ). Faudra quand même que je trouve comment vous faire un don via internet.

14:58  
Anonymous Anonyme said...

Non ce n'est pas trop long, il faut expliquer et reexpliquer, il faut redire et redire, c'est comme cela que les messages passent, 15 millions d'euros pour des clients privilégiés au détriment d'autres, c'est là que l'on aimerait en savoir plus. Qui sont les privilégiés ? Qui a pris la décision de ces transferts ? a quoi a servit cet argent ? Mais bon, tout est fait pour qu'on ne se pose pas ce genre de question et que même si on se les pose, les réponses sont difficilement accessibles.
Merci DR pour votre travail, on aimerait que vous puissiez aller encore plus loin...

15:50  
Anonymous Anonyme said...

Il est piquant de constater que ceux qui ont donné généreusement et librement dans le cadre du soutien à Denis Robert sans aucun souci de rentabilité, peuvent apprécier aujourd'hui la qualité de leur investissement.
Bon courage pour la suite.

20:39  
Anonymous Anonyme said...

cher Denis
même si tu gagnes tous les procès, la fatigue et l'épuisement nerveux laisse un goût amer. Ces batailles ne devaient même pas exister. Elles sont très négatives pour le moral car nous n'avons qu'une vie. Néanmoins il faut mieux les gagner que les perdre..... Alors... continue avec tes avocats le combat... Et écrit un petit mot pour le juge qui se bat de son côté à s manière
Merci.

21:33  
Anonymous Anonyme said...

Bonjour Denis,

Non, la longueur ne me semble pas non plus un problème dans la mesure où elle nous éclaire (et qu'elle est nécessaire pour ce que tu as à dire).
Et je crois que le détail des analyses, des arguments, le démontage minutieux des attaques injustifiées contre toi et la possibilité de les contrer en se basant sur les principes fondamentaux et reconnus de nos démocraties est sûrement une voie fructueuse pour mettre en difficulté ceux qui font leurs affaires à nos dépens et se servent d'un formalisme juridique au fond injustifé pour résister à leurs opposants.
Bonne continuation,

Patrick

22:17  
Anonymous Anonyme said...

"-Patron, qu'est-ce qu'on fait ?

Ce type à la victoire modeste... :/

-Effectivement, ça commence à devenir barbant "

lol :-D

13:24  
Anonymous Anonyme said...

Bonsoir, je vais perdre mon job à cause de mon opposition à un sombre affaire de pots de vin dont notre président est le maître d'oeuvre : je pourrais aussi faire un roman de cette histoire. Mais je crains que le public ne soit lassé et blasé par ce genre d'histoires ... Courage !
A bientôt j'espère.
Marco

00:03  
Anonymous Anonyme said...

Un peu de censure sur ce blog ou probleme technique? mon commentaire legerement critique n'a pas ete publie?

04:56  
Anonymous Anonyme said...

non, ce n'est pas long et c'est intéressant...
Ce qui manque juste pour pouvoir vulgariser l'affaire, ce sont des schémas : je suis un visuel :-)

Un récent lecteur de "Pendant les affaires, les affaires continuent..."

18:15  

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