12.5.08

Angle mort


Ce texte est la préface d'un livre de photos qui seront exposées au Musée d'Art moderne de Genève en Juin.


En juillet 2002, je ramais à rendre intelligible le résultat de mes enquêtes sur le fonctionnement de la planète financière. J’étais fatigué d’entendre que ce que j’écrivais était compliqué. Je me souviens du moment où la route s’est éclaircie. Je partais en vacances. La voiture était pleine de cris d’enfants. Je conduisais, la tête dans le livre que j’avais laissé en chantier, me rabattant, zigzaguant entre les caravanes pour arriver le premier aux stations de péage, ralentissant à la vue d’un motard ou d’un radar. On me parlait, mais je ne répondais pas. Je cherchais la métaphore qui allait mettre tout le monde d’accord. En me faisant doubler par une grosse berline immatriculée en Suisse, à laquelle était accrochée une remorque, j’ai eu une illumination. La berline avait disparu dans l’angle mort de mon rétroviseur. Je me suis dit que la planète financière fonctionnait comme un réseau autoroutier. Avec ses stations de péage, ses bandes d’arrêts, ses voitures, ses remorques, ses plaques d’immatriculation, ses gendarmes, ses voleurs et ses itinéraires bis.

Un véhicule en dépasse un autre et reste, grâce à sa vitesse constante, caché dans le point aveugle du rétroviseur. Il aura disparu. Il aura réellement disparu de votre champ de vision, avant de réapparaître, comme par magie, quelques secondes plus tard. Il en est de même avec les transferts d’argent et valeurs. Des montagnes de yens, d’euros, de roubles ou de dollars, des paquets d’actions et d’obligations sont à portée de vue dans les remorques de grosses cylindrées sur les autoroutes de la finance. On ne les voit pas, parce qu’on ne veut pas les voir.

J’ai longtemps cru qu’il était impossible de retrouver la trace d’un virement dès qu’il passait la frontière d’un pays.Trop de trafic. Trop de vitesse. Trop de mensonges. Pas de mémoire. Ma découverte du rôle joué par les chambres de compensation internationales Clearstream et Euroclear et par la société de routing financier Swift m’a permis de comprendre à quel point mes représentations de l’argent et du capitalisme étaient fausses. Non seulement les transactions financières étaient enregistrés, mais ces informations étaient centralisées et conservées dans d’immenses gares de triage de la finance. A elles trois, ces sociétés pieuvre possédant des antennes et des clients sur toute la planète, sont devenues en une vingtaine d’années, grâce à la puce électronique et aux progrès de l’informatique, les outils essentiels de la mondialisation. Les gestionnaires du trafic dans le global village. Les sociétés de transports du capitalisme financier. Ses caisses enregistreuses. Ses pompes à essence. Ses tours de contrôle. Ses boîtes noires aussi. Toutes les banques de la planète, mais aussi des multinationales et des sociétés plus troubles sont connectés en permanence sur leurs réseaux et s’en servent pour transférer, acheter, vendre, tricher, voler, cacher. Foncer. Disparaître.

Swift se contente d’enregistrer et de transmettre des ordres de virement de banques à banques. Vous êtes en Italie, vous louez une voiture : le loueur, en passant votre carte de crédit dans son appareil, utilise le réseau Swift auquel est forcément abonné votre banque pour débiter votre compte en Basse Normandie ou sur une lagune de Saint Barth. Clearstream et Euroclear sont chargées d’organiser le commerce transfrontalier des actions et des obligations, de garantir la solvabilité des clients sur les marchés, de fluidifier les échanges financiers mondiaux et de les compenser. Elles peuvent transférer du cash , mais elles sont surtout chargées de transformer vos avoirs en investissements. Elles les font voyager et les conservent dans leurs immenses parkings souterrains. Elles sont payées pour ces services. Une commission à chaque passage et un loyer pour chaque garage.

Les banquiers et leurs informaticiens jouent sur la vitesse des échanges et sur notre ignorance des techniques de déplacements bancaires pour nous flouer. Ils utilisent dans les points aveugles du système de subtils outils de transformation et de transfert de valeurs. Ils peuvent aller si vite dans les échanges qu’on ne peut pas les suivre. Ils peuvent masquer les numéros de certaines plaques ou mélanger les remorques et les voitures au péage de telle sorte que le temps d’un déplacement, on ne sache plus très bien à qui appartient quoi. Et vers où tout cela file.

Tout se fait par des jeux d’écritures comptables. Les informaticiens de Clearstream ou d’Euroclear compensent les pertes et les gains des uns et des autres. Le cul vissé dans leur fauteuil à Luxembourg ou à Bruxelles, ils voyagent au quatre coins de la planète. On verse un million de francs dans son agence bancaire à Monaco. Le temps de se retourner, l'argent a déjà filé sur un compte à Paris, est revenu sous forme d'un placement à Jersey. Les réseaux autoroutiers sont interconnectés. Les ordres de virement filent par des câbles qui relient des ordinateurs qui relient des disques durs qui relient des coffres forts électroniques. A Londres, Francfort ou Genève, des opérateurs ont l’œil sur ce qui file. Ils partent de Swift empruntent un bridge qui les amènent chez Clearstream, puis un autre qui les fait revenir à Euroclear. Parfois on leur demande encore plus de vitesse ou de discrétion pour certains transferts. Ils utilisent alors des itinéraires bis. Ils quittent le flux et se rendent invisibles. Ils jouent sur les numéros de plaque, changent de véhicule, sèment leurs poursuivants. Ils peuvent aussi effacer les traces de certains passages. Des masses entières d’argent ou de valeurs disparaissent pour réapparaître sous une forme différente plus loin. Plus loin que la mer, dans un paradis fiscal, au large.

Les paradis fiscaux sont des leurres, des villes fantômes en bout de piste. Inutile d’aller y chercher ce qu’on ne trouvera pas. Les véhicules financiers y ont, en quelque sorte, simulé un dépôt. L’information financière reste enregistrée et accessible dans les archives électroniques des gares de triage de ce capitalisme qui devient de plus en plus clandestin. Toujours Clearstream et Euroclear. La première a son siège dans un paradis fiscal. Le Luxembourg. C’est à dire un lieu où aucun juge indépendant ne mettra jamais les pieds. La boucle apparaît ainsi bouclée.

La multiplication des radars sur les autoroutes françaises a réduit considérablement les excès de vitesses et les accidents mortels. La peur de l’amende et du gendarme a joué. La multiplication des itinéraires bis, des trafics de plaques et des véhicules dépassant la vitesse autorisée ont transformé en jungle inaccessible le réseau autoroutier financier. Le capitalisme n’est pas devenu fou, comme le prédisent certains, il est devenu incontrôlable.

En 2002, alors que la grosse berline suisse me dépassait, j’ai eu cette vision. Nous étions des millions de types à nous traîner d’embouteillages en stations de péages, flashés par des radars, contrôlés par la police. Au dessus de nos têtes volaient des bolides conduits par des fantômes souriant comme des vampires.

DR

4 Comments:

Anonymous Anonyme said...

j'ai l'impression que tu es dans une spirale inverse ... tous cela me semble une affable farce ...
mon dieu que ces riches enfoirées sont salaud avec toi
save qui peu
boycot coupe d'europe de foot dans un paradis fiscaul

19:51  
Blogger eTo said...

Excellente comparaison M. Robert, peut être m'aidera-t-elle à faire comprendre ce système à mes amis néophytes.

Quand au commentaire précédent... no comment.
Ah si, j'aimerais bien que notre anonyme nous explique pourquoi il s'inflige la lecteur de votre blog s'il n'aime pas vos propos...
Et jme permettrai même de lui suggérer quelques leçons de français.

Keep it real

18:55  
Blogger François de Siebenthal said...

"Je n'ai pas le pouvoir, la France comme le reste du monde est assujettie à une dictature financière qui gère tout."
François Mitterand, cité par la Tribune de Genève, le 22.11.2007 dans l'article au sujet de Danielle Mitterand par M. van Berchem, Paris.

L'affaire Clearstream Ferraye

Quelques images en vidéo pour mieux saisir les enjeux...
Cliquer le lien ci-dessous, les autres ont été à nouveau censurés...
http://video.google.fr/videoplay?docid=-7751407403451499540
Vidéo ( trop souvent censurée...)
« Sans aucun doute »
Julien COURBET - TF1 12 mai 2000
Emission censurée sur ordre de Dominique Strauss Kahn, alias DSK, maintenant PDG du FMI, le jour même de sa diffusion prévue et annoncée ! Bernard Nicolas, qui était présent sur le plateau de « Sans Aucun Doute » ... Julien COURBET - TF1 12 mai 2000, censurée... Julien Courbet: Vers quelles pistes il va falloir se diriger ? Réponse de Bernard Nicolas à 13:10 Et bien, écoutez, Jacques Martin et Kader Ben Riba, qui ont commencé à travailler sur ce dossier ont vu, au travers des documents qu'ils ont pu consulter et des gens qu'ils ont pu contacter par téléphone qu'il y avait une foultitude de personnages, c'est-à-dire vous avez d'anciens policiers de la DST, devenus détectives privés, des hommes d'affaires qui sortent d'on ne sait où, attirés par le gâteau financier apparemment et surtout des comptes ouverts dans plusieurs grandes banques dans le monde entier. L'argent s'est tout d'un coup évaporé, escamoté. Et, à l'évidence, il faut, comme le disait feu le juge Falcone, en Italie, un des grands magistrats anti-corruption italien qui a payé de sa vie son courage. Il disait: " Pour trouver le criminel, il faut suivre la piste de l'argent, donc il va falloir que vos deux journalistes suivent la piste de l'argent pour essayer de trouver qui s'y intéresse aujourd'hui et qui va tenter de retirer le maximum du magot. 14:27 Me Vergés... Autre source, plus tard... Bernard Nicolas, journaliste d’investigation , interrogé par Sophie Coignard (Le Rapport OMERTA 2 - page 261) - Vous avez déjà été victime de censure dans l’exercice de votre métier ?
« Plusieurs fois. Dès lors qu’il était question de personnage politique de premier plan, les ennuis commençaient à TF1……Une fois, j’avais fait un reportage sur une histoire politico-financière compliquée qui devait passer dans l’émission de Julien Courbet Tout est possible. Dans la journée, une autopublicité annonce le thème de mon enquête. La direction de TF1 s’inquiète : cette affaire peut-elle être gênante pour Dominique Strauss-Khan ?…..J’étais interloqué : rien n’indiquait dans mon enquête que DSK fût mêlé en quoi que ce soit à cette affaire. Soit on se trompait en haut lieu, soit on en savait plus long que moi…..Les téléspectateurs qui ont vu la bande-annonce n’ont jamais vu la suite… »

Plus une deuxième vidéo de 17 minutes d'entretien entre l'inventeur et M. Burdet pour vous expliquer les grandes lignes de la corruption des pouvoirs judiciaires et politiques.
Cliquer le lien ci-dessous, les autres ont été à nouveau censurés...
http://video.google.fr/videoplay?docid=-698047735755472484&q=ferraye
Et attendre quelques minutes le chargement des images, merci.
http://www.googleswiss.com/fr/geneve/jf/video.html Pour large diffusion, merci.

plus sur www.pavie.ch

Puis-je avoir le numéro de M. Denis Robert pour en parler. Merci

Fr. de Siebenthal

14:21  
Anonymous Anonyme said...

Bon sang, plus je regarde la photo..mais oui, vous êtes venu à Metz sans en parler? ;)

11:23  

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