Technikart - ILS VEULENT RENDRE AMER DENIS - 21/ 03/06
Au moment même où sort "La Domination du Monde", roman inspiré du scandale de l'affaire Clearstream, son auteur Denis Robert est à nouveau menacé par la justice luxembourgeoise. Si on veut faire taire Denis, c'est donc que Robert dérange. Interview.
par Vincent Cocquebert, 21 mars 2006
Après "Révélation$", "La Boite Noire" et "L'Affaire Clearstream raconté à un salarié de Daewoo", l'écrivain journaliste Denis Robert repart en croisade contre les barons de la finance internationale et publie "La Domination du Monde", un thriller scotchant où s'entremêlent subtimilement fiction et réalité sur fond de blanchiment d'argent à échelle industrielle. Dans un monde semblable à un fast-food de l'information, où les affaires les plus sandaleuses font « psschit » avant même d'avoir éclaté, la fiction est-elle devenue le seul moyen pour dire la vérité ? Afin de répondre à cette insoluble interrogation, nous sommes allés rencontrer Denis dans un luxueux hôtel rue de Marceau. Interview fleuve.
Technikart : Denis Robert, pourquoi avoir utilisé la fiction pour raconter une histoire déjà évoquée aux travers des livres d'enquêtes ?
Denis Robert : Après avoir écrit Révélation$ et La Boîte Noire, réalisé deux documentaires, mais aussi publié des romans érotiques, des chroniques d'enfances, bref des choses plus proches de l'introversion, je me suis demandé : qu'est-ce que je fais maintenant ? Là, je me suis rendu compte que la seule chose qui me restait, c'était de raconter comment quelqu'un qui dit la vérité n'est pas entendu. J'ai donc créé cette histoire d'un journaliste qui s'appelle Klébert, qui va voir son ami psychanalyste parce qu'il est un peu au bout du rouleau et à qui il va demander de prendre le relais de son enquête sur la « Shark Company ». Je l'ai vraiment écrit pour réussir à toucher tous ces gens qui ne connaissent pas mon travail par ailleurs. Selon moi « La Domination du Monde » est mon livre le plus abouti. C'est un livre qui a une dimension plus universelle et qui raconte mieux toutes ces histoires de finances. Ceci dit, « La Domination du Monde » reste surtout, pour moi, un livre sur l'écriture et la recherche de vérité.
Technikart : La fiction vous a-t-elle permis d'en dire plus au sujet de Clearstream, la société luxembourgeoise qui est au centre des transactions financières et que vous avez mis en cause dans vos précédents ouvrages ?
D.R : Pas d'en dire plus mais de mieux dire les choses. J'avais déjà testé à travers mes autres livres la confrontation directe avec le réel et je me suis rendu compte d'une certaine impossibilité à faire passer les choses. Grâce à l'intime qu'offre la forme fictionnelle, on peut rentrer dans la question du pourquoi. Pourquoi ce banquier a-t-il ce pouvoir ? Pourquoi fait-il cela de son pouvoir ? Pourquoi un journaliste exerce-t-il ce métier ? Je ne suis pas un imaginatif vous savez. Je m'inspire de ma vie et de celles des autres pour construire une histoire contemporaine et la fiction reste selon moi le meilleur moyen pour raconter la complexité du monde.
Technikart : Pourquoi avoir utilisé cette figure du psychanalyste ?
D.R : Sans doute car avant d'être journaliste ou écrivain, j'ai failli devenir psychanalyste. J'ai fait des études universitaires en psychologie, je suis assez proche de ces milieux là. Je trouve que le psychanalyste c'est quelqu'un qui regarde le monde sans en être acteur et j'avais justement envie que le personnage de ce roman évolue, bouge et devienne acteur de ce qu'il vivait.
Technikart : Comment se passe le processus d'écriture pour un roman tel que « La Domination du Monde » qui intègre tellement d'éléments du réel ?
D.R : Quand on écrit un roman, on ne pense qu'à ça, ça vous habite nuits et jours. Je suis passé par une vingtaine de versions avant d'arriver à celle-la. Au début c'était un schyzophrène, puis il y a eu deux personnages, etc. Evidemment, je suis dans ces deux personnages bien qu'en même temps ils soient tous les deux différents. Klébert, le journaliste, est un fou de la vérité et un obsédé des faits, beaucoup plus que je ne le suis moi. Il se dit tout le temps : « Ton rôle c'est d'écrire les faits rien que les faits ». Son ami pense que ça n'a pas de sens car, même dans une juxtaposition de faits, on glisse toujours différentes interprétations et il lui dit : « Sois plus franc et raconte le monde comme tu le vois. Si tu es juste ça passera ». Je pense que le génie et la magie du livre, ce n'est peut être pas très modeste mais je le pense donc je le dis, c'est que moi, Denis Robert, j'active ces deux personnages. C'est une mise en abyme ce roman. La mise en scène n'est là que pour permettre au lecteur de comprendre et d'appréhender l'histoire que je raconte en étant à la fois, tout près et très loin. C'est une mise en perspective qui doit provoquer de l'effroi pour qu'à tout moment on puisse se dire : « Putain, ça a l'air vrai ! ». C'est ce que j'appelle un « effet de réel ». Et si j'ai réussi mon coup, on doit retrouver beaucoup plus cela dans ce roman que dans un essai.
Technikart : Vous pensez en avoir terminé, avec ces histoires de finances ?
D.R : Je ne peux pas dire que c'est fini. Je sais comment je fonctionne et il va suffire que quelqu'un vienne me voir pour que ces affaires me rattrapent. Même si en ce moment j'ai autre chose, je sais que je ne peux pas dire non à ça, je ne suis pas encore allé au bout. Il y a plein de manières de raconter le pouvoir et je n'ai pas encore tout exploré.
Technikart : Pourquoi l'affaire Clearstream n'a-t-elle, selon vous, pas provoqué plus de remous que ça ?
D.R : Il y a selon moi deux raisons à cela. Premièrement : la jalousie etla paresse des journalistes qui parlent en mal ou qui ne parlent pas du tout de mon travail. La deuxième chose, c'est la puissance du lobby auquel je m'affronte. Je suis assez seul dans ce combat là avec mon éditeur et quelques copains. Il faut quand même savoir que l'on est face au pouvoir des pouvoirs quand on touche à ce pan de la finance. Il y a toute une mécanique qui est écrasante et contre laquelle un homme seul ne peut totalement s'opposer même si, paradoxalement, il n'y a qu'un homme seul qui puisse arriver à les déstabiliser. J'y suis d'ailleurs un peu arrivé et ce n'est pas fini. J'ai largement gagné la partie et elle est toujours en cours.
Technikart : Oui, vous avez été de nouveau inculpé le 27 janvier dernier par la justice luxembourgeoise. Pour quelle raison cette fois ?
D.R : Grâce aux microfilms de mon témoin, Ernest Backes, on avait réussi à trouver une transaction très louche impliquant une banque pakistanaise qui s'appelle la B.B.C.I. Il s'est trouvé que cette transaction n'était, en fait, pas illégale du fait de la décision d'un tout petit tribunal du Luxembourg qui l'avait autorisé. Sur ce fait là, la banque générale du Luxembourg m'a déjà attaqué en première instance ; elle a perdue, elle m'a ensuite attaqué en appel, elle a de nouveau perdue. Là, comme ils veulent me faire chier par tous les bouts, ils reposent la même plainte au Luxembourg. Et rien que pour ce tout petit détail, ils m'attaquent pour diffamation, injures etcalomnies. C'est épuisant car il faut prendre un avocat, se rendre à des audiences et aujourd'hui encore je risque dans le pire des cas de la prison ou une amende, simplement pour avoir écrit des choses vraies, c'est insupportable. Il y a là un vrai problème de liberté. C'est pour ça, la pétition de soutien que vous pouvez voir sur Internet, c'est un peu un appel au peuple. J'espère que ça va faire bouger les choses. Je les ai fait chier, mais ils me le rendent bien et sont plus nombreux que moi.
Technikart : Comment l'avez vous vécu cette frilosité de la part de certains journalistes par rapport à votre travail ?
D.R : Très mal. Je pensais être attaqué par des notables, des banquiers, mais j'ai véritablement été poignardé dans le dos par ces trois ou quatre journalistes. Il a les sous-fifres, les grattes papiers qui ont fait les articles mais il y a surtout derrière ces gens qui ont induit tout le monde en erreur. Quant « Le Monde » n'aime pas, il ne fait pas de papier et là il y a eu cinq papiers la semaine de la sortie du livre ! Ils ont créé des rumeurs autour de moi. C'est vachement dur de remonter la pente quant vous avez tellement de mauvaise foi en face de vous. Même un mec comme Plénel, je pense qu'il n'a pas été complètement conscient de ce qu'il faisait. Il a été manipulé lui aussi. Il n'y connaît rien en finances, il n'a sûrement même pas lu le livre. On lui a dit qu'il y avait quelques erreurs et il n'est pas allé plus loin que cela. En plus, il ne m'aime pas parce que j'écris à la première personne. Ca le fait chier et il me le fait payer. Cela dit, je l'emmerde.
Technikart : Vous regrettez parfois de vous être autant mis en danger ?
D.R : Non, c'est un vrai combat, un combat que j'ai choisi, c'est une aventure extraordinaire, un formidable plaisir ! Je suis avant tout un écrivain, je ne regrette rien. Sachez que j'ai une vie plus excitante que 99 % des gens que je rencontre ! Mais après il y a une vraie injustice, donc la question qui se pose c'est : j'accepte ou j'accepte pas ? Moi je n'accepte pas donc je me bats avec mes moyens. Il faut quand même se rendre compte que mes accusations, comme quoi Clearstream était un outil de dissimulation des transactions et qu'en plus le Luxembourg le protégeait, étaient très graves. En faisant cela, j'attaque carrément des juges, des magistrats, des hommes politiques. Ces gens là tiennent le système et ils tiennent aussi les journalistes qui, par paresse, préfèrent se censurer et ne parlent pas de ces histoires. Clearstream a tout intérêt à communiquer autour des plaintes qu'ils font contre moi car les gens entendent « une nouvelle plainte contre Denis Robert », mais ils n'entendent pas que je gagne mes procès. Je n'accepte pas les médiations, les trucs comme ça. Moi je veux qu'on dise que j'ai raison ! Mais s'ils me foutent la paix, je leur fous la paix. Ma vie est ailleurs que chez Clearstream. Mais il y a un côté très con et très revanchard chez les Luxembourgeois.
Technikart : A ce point ?
D.R : Oui, il doit y avoir quelques vieux notables là bas qui ne supportent pas qu'un gauchiste comme moi, pensent-ils, ai attaqué leurs institutions. Entre justice et Luxembourg, il y a une antinomie langagière, c'est une dictature bancaire avant d'être une démocratie, c'est un pays qui ne vit que sur la magouille bancaire. J'ai dénoncé des faits qui ont été avérés et ils n'ont jamais enquêté la dessus. Parfois ils ont quelques enquêtes qui leur servent d'alibis mais rien de plus. Dans cette histoire, je me dis quand même que le temps joue pour moi.
Technikart : Comment ça ?
D.R : Oui, du fait que les gens qui lisent mes livres intègrent le fait que je dis la vérité. C'est la meilleure chose contre la mauvaise foi des colonnes du « Monde ». Mes livres se vendent à vingt, trente milles exemplaires et même s'ils auraient dû se vendre cent fois plus, ils sont traduits dans de nombreux pays. Tout cela se propage, les politiques se l'approprient. J'ai quand même mis le projecteur sur un endroit qui était noir et méconnu et je ne vois pas un tribunal normalement composé me condamner.
Technikart : Vous considérez vous toujours comme un journaliste d'investigation ?
D.R : Je ne me suis jamais considéré comme un journaliste d'investigation. Je vis de mes droits d'auteurs. Ce sont les autres journalistes qui me présentent comme cela. Même mon premier livre « Pendant les affaires, les affaires continuent », ce n'était pas un livre de journalisme. C'est l'écrivain qui racontait la vie du journaliste que j'étais. Après, on peut dire que je fais du journalisme à ma façon mais je fais sans doute plus oeuvre de journalisme que 95 % des journalistes du « Monde » ou de « Libé ». C'est bien parce que je ne suis pas journaliste que j'arrive à faire des enquêtes aussi fortes. Je suis dans un cheminement de compréhension.
Technikart : Vous ne croyez pas que le manque de réactions par rapport à votre travail s'explique également du fait que peu de gens arrivent à penser l'économie ?
D.R : Ce que je raconte n'est pas dur à comprendre mais ça bouleverse les croyances et les mythes fabriqués par les journalistes financiers qui sont soit disant sérieux mais qui paradoxalement ne disent pas le réel. Ils se basent sur des indices boursiers qui sont bidons, ils fabriquent une actualité qui est entièrement payée par la pub ou par les banques. Il y a une idéologie générale qui va dans le sens de la consolidation du système donc moi, le savoir que j'amène, ça les bouleverse. Mais j'ai raison et ils ont torts. Pourquoi ça n'a pas plus d'impact ? Il faut aller leur demander à eux, il est nécessaire que ces histoires restent dans l'ombre pour que ça puisse continuer. Ces journalistes là, quand on les titille trop, ils sont vite à court d'argument, ils s'énervent et vont chercher à pointer des erreurs qui d'ailleurs n'en sont pas.
Technikart : Clearstream continue aujourd'hui ses activités en toute impunité ?
D.R : Oui, aujourd'hui, il y a 107 pays qui ont des comptes chez Clearstream, dont plus de quarante paradis fiscaux. C'est un véritable poumon, c'est essentiel au fonctionnement de la finance parallèle. C'est d'ailleurs aujourd'hui cette finance parallèle qui a pris le pas sur l'autre.
Technikart : Vous voulez dire que la finance illégale est plus importante que les circuits économiques légaux ?
D.R : En astrophysique, vous avez cette idée que, lorsque vous regardez les étoiles, il y a la matière visible et la matière invisible. On a pourtant longtemps cru qu'il n'y avait pas de matière invisible. C'est en étudiant la mort des étoiles, ce qu'on appelle les supernova ou encore le temps que mets la lumière avant d'arriver à la Terre, on s'est rendu compte qu'il y avait une résistance. Quand le physicien qui a inventé ce concept de matière noire de l'univers dans les années 30, en disant que l'anti-matière était bien plus important, à hauteur de 90 %, il s'est affronté à un déni collectif. C'est devenu un paria, il a du s'exiler aux Etats-unis mais l'avenir lui a donné raison.
Technikart : Et alors ?
D.R : Eh bien pour la finance, c'est la même chose. De l'univers financier, on ne nous renvoie qu'une lumière codée, connue, tels que les indices boursiers, les bilans etc. Ce que l'on n'a jamais pris en compte, c'est l'argent noir. Le commerce de drogue, ça représente 10 % de la masse financière. Cet argent rentre par endroit dans l'économie des systèmes démocratique. Il y a une matière noire, une anti-matière de la finance comme pour l'univers.
Technikart : Toute cette abstraction ne nuirait-elle pas à l'identification qu'il doit y avoir dans le processus d'information ? Un salarié lambda ne comprend peut être pas qu'elle influence ces mouvements financiers peuvent avoir sur sa vie.
D.R : C'est pour ça que j'ai fais le film, « L'affaire Clearstream raconté à un salarié de Daewoo ». En enquêtant, cela m'a semblé évident que c'était pour ces raisons que les usines fermaient. Je me suis souvent demandé où partait l'argent. Et le chaînon manquant entre ces entreprises et le salarié licencié, c'est Cleastream. Toutes ces affaires que je dénonce provoquent ces victimes là. On a beau dire que certains taux boursiers grimpent, ce qu'on peut observer, c'est par exemple qu'à Metz, il y a 15 ans, il y avait cinq SDF, ils sont aujourd'hui 500. On en enterre facilement une centaine dans la fosse commune chaque année. Ce sont des faits objectifs mais aussi des vérités inaudibles pour ces dirigeants.
Entretien Vincent Cocquebert
Au moment même où sort "La Domination du Monde", roman inspiré du scandale de l'affaire Clearstream, son auteur Denis Robert est à nouveau menacé par la justice luxembourgeoise. Si on veut faire taire Denis, c'est donc que Robert dérange. Interview.
par Vincent Cocquebert, 21 mars 2006
Après "Révélation$", "La Boite Noire" et "L'Affaire Clearstream raconté à un salarié de Daewoo", l'écrivain journaliste Denis Robert repart en croisade contre les barons de la finance internationale et publie "La Domination du Monde", un thriller scotchant où s'entremêlent subtimilement fiction et réalité sur fond de blanchiment d'argent à échelle industrielle. Dans un monde semblable à un fast-food de l'information, où les affaires les plus sandaleuses font « psschit » avant même d'avoir éclaté, la fiction est-elle devenue le seul moyen pour dire la vérité ? Afin de répondre à cette insoluble interrogation, nous sommes allés rencontrer Denis dans un luxueux hôtel rue de Marceau. Interview fleuve.
Technikart : Denis Robert, pourquoi avoir utilisé la fiction pour raconter une histoire déjà évoquée aux travers des livres d'enquêtes ?
Denis Robert : Après avoir écrit Révélation$ et La Boîte Noire, réalisé deux documentaires, mais aussi publié des romans érotiques, des chroniques d'enfances, bref des choses plus proches de l'introversion, je me suis demandé : qu'est-ce que je fais maintenant ? Là, je me suis rendu compte que la seule chose qui me restait, c'était de raconter comment quelqu'un qui dit la vérité n'est pas entendu. J'ai donc créé cette histoire d'un journaliste qui s'appelle Klébert, qui va voir son ami psychanalyste parce qu'il est un peu au bout du rouleau et à qui il va demander de prendre le relais de son enquête sur la « Shark Company ». Je l'ai vraiment écrit pour réussir à toucher tous ces gens qui ne connaissent pas mon travail par ailleurs. Selon moi « La Domination du Monde » est mon livre le plus abouti. C'est un livre qui a une dimension plus universelle et qui raconte mieux toutes ces histoires de finances. Ceci dit, « La Domination du Monde » reste surtout, pour moi, un livre sur l'écriture et la recherche de vérité.
Technikart : La fiction vous a-t-elle permis d'en dire plus au sujet de Clearstream, la société luxembourgeoise qui est au centre des transactions financières et que vous avez mis en cause dans vos précédents ouvrages ?
D.R : Pas d'en dire plus mais de mieux dire les choses. J'avais déjà testé à travers mes autres livres la confrontation directe avec le réel et je me suis rendu compte d'une certaine impossibilité à faire passer les choses. Grâce à l'intime qu'offre la forme fictionnelle, on peut rentrer dans la question du pourquoi. Pourquoi ce banquier a-t-il ce pouvoir ? Pourquoi fait-il cela de son pouvoir ? Pourquoi un journaliste exerce-t-il ce métier ? Je ne suis pas un imaginatif vous savez. Je m'inspire de ma vie et de celles des autres pour construire une histoire contemporaine et la fiction reste selon moi le meilleur moyen pour raconter la complexité du monde.
Technikart : Pourquoi avoir utilisé cette figure du psychanalyste ?
D.R : Sans doute car avant d'être journaliste ou écrivain, j'ai failli devenir psychanalyste. J'ai fait des études universitaires en psychologie, je suis assez proche de ces milieux là. Je trouve que le psychanalyste c'est quelqu'un qui regarde le monde sans en être acteur et j'avais justement envie que le personnage de ce roman évolue, bouge et devienne acteur de ce qu'il vivait.
Technikart : Comment se passe le processus d'écriture pour un roman tel que « La Domination du Monde » qui intègre tellement d'éléments du réel ?
D.R : Quand on écrit un roman, on ne pense qu'à ça, ça vous habite nuits et jours. Je suis passé par une vingtaine de versions avant d'arriver à celle-la. Au début c'était un schyzophrène, puis il y a eu deux personnages, etc. Evidemment, je suis dans ces deux personnages bien qu'en même temps ils soient tous les deux différents. Klébert, le journaliste, est un fou de la vérité et un obsédé des faits, beaucoup plus que je ne le suis moi. Il se dit tout le temps : « Ton rôle c'est d'écrire les faits rien que les faits ». Son ami pense que ça n'a pas de sens car, même dans une juxtaposition de faits, on glisse toujours différentes interprétations et il lui dit : « Sois plus franc et raconte le monde comme tu le vois. Si tu es juste ça passera ». Je pense que le génie et la magie du livre, ce n'est peut être pas très modeste mais je le pense donc je le dis, c'est que moi, Denis Robert, j'active ces deux personnages. C'est une mise en abyme ce roman. La mise en scène n'est là que pour permettre au lecteur de comprendre et d'appréhender l'histoire que je raconte en étant à la fois, tout près et très loin. C'est une mise en perspective qui doit provoquer de l'effroi pour qu'à tout moment on puisse se dire : « Putain, ça a l'air vrai ! ». C'est ce que j'appelle un « effet de réel ». Et si j'ai réussi mon coup, on doit retrouver beaucoup plus cela dans ce roman que dans un essai.
Technikart : Vous pensez en avoir terminé, avec ces histoires de finances ?
D.R : Je ne peux pas dire que c'est fini. Je sais comment je fonctionne et il va suffire que quelqu'un vienne me voir pour que ces affaires me rattrapent. Même si en ce moment j'ai autre chose, je sais que je ne peux pas dire non à ça, je ne suis pas encore allé au bout. Il y a plein de manières de raconter le pouvoir et je n'ai pas encore tout exploré.
Technikart : Pourquoi l'affaire Clearstream n'a-t-elle, selon vous, pas provoqué plus de remous que ça ?
D.R : Il y a selon moi deux raisons à cela. Premièrement : la jalousie etla paresse des journalistes qui parlent en mal ou qui ne parlent pas du tout de mon travail. La deuxième chose, c'est la puissance du lobby auquel je m'affronte. Je suis assez seul dans ce combat là avec mon éditeur et quelques copains. Il faut quand même savoir que l'on est face au pouvoir des pouvoirs quand on touche à ce pan de la finance. Il y a toute une mécanique qui est écrasante et contre laquelle un homme seul ne peut totalement s'opposer même si, paradoxalement, il n'y a qu'un homme seul qui puisse arriver à les déstabiliser. J'y suis d'ailleurs un peu arrivé et ce n'est pas fini. J'ai largement gagné la partie et elle est toujours en cours.
Technikart : Oui, vous avez été de nouveau inculpé le 27 janvier dernier par la justice luxembourgeoise. Pour quelle raison cette fois ?
D.R : Grâce aux microfilms de mon témoin, Ernest Backes, on avait réussi à trouver une transaction très louche impliquant une banque pakistanaise qui s'appelle la B.B.C.I. Il s'est trouvé que cette transaction n'était, en fait, pas illégale du fait de la décision d'un tout petit tribunal du Luxembourg qui l'avait autorisé. Sur ce fait là, la banque générale du Luxembourg m'a déjà attaqué en première instance ; elle a perdue, elle m'a ensuite attaqué en appel, elle a de nouveau perdue. Là, comme ils veulent me faire chier par tous les bouts, ils reposent la même plainte au Luxembourg. Et rien que pour ce tout petit détail, ils m'attaquent pour diffamation, injures etcalomnies. C'est épuisant car il faut prendre un avocat, se rendre à des audiences et aujourd'hui encore je risque dans le pire des cas de la prison ou une amende, simplement pour avoir écrit des choses vraies, c'est insupportable. Il y a là un vrai problème de liberté. C'est pour ça, la pétition de soutien que vous pouvez voir sur Internet, c'est un peu un appel au peuple. J'espère que ça va faire bouger les choses. Je les ai fait chier, mais ils me le rendent bien et sont plus nombreux que moi.
Technikart : Comment l'avez vous vécu cette frilosité de la part de certains journalistes par rapport à votre travail ?
D.R : Très mal. Je pensais être attaqué par des notables, des banquiers, mais j'ai véritablement été poignardé dans le dos par ces trois ou quatre journalistes. Il a les sous-fifres, les grattes papiers qui ont fait les articles mais il y a surtout derrière ces gens qui ont induit tout le monde en erreur. Quant « Le Monde » n'aime pas, il ne fait pas de papier et là il y a eu cinq papiers la semaine de la sortie du livre ! Ils ont créé des rumeurs autour de moi. C'est vachement dur de remonter la pente quant vous avez tellement de mauvaise foi en face de vous. Même un mec comme Plénel, je pense qu'il n'a pas été complètement conscient de ce qu'il faisait. Il a été manipulé lui aussi. Il n'y connaît rien en finances, il n'a sûrement même pas lu le livre. On lui a dit qu'il y avait quelques erreurs et il n'est pas allé plus loin que cela. En plus, il ne m'aime pas parce que j'écris à la première personne. Ca le fait chier et il me le fait payer. Cela dit, je l'emmerde.
Technikart : Vous regrettez parfois de vous être autant mis en danger ?
D.R : Non, c'est un vrai combat, un combat que j'ai choisi, c'est une aventure extraordinaire, un formidable plaisir ! Je suis avant tout un écrivain, je ne regrette rien. Sachez que j'ai une vie plus excitante que 99 % des gens que je rencontre ! Mais après il y a une vraie injustice, donc la question qui se pose c'est : j'accepte ou j'accepte pas ? Moi je n'accepte pas donc je me bats avec mes moyens. Il faut quand même se rendre compte que mes accusations, comme quoi Clearstream était un outil de dissimulation des transactions et qu'en plus le Luxembourg le protégeait, étaient très graves. En faisant cela, j'attaque carrément des juges, des magistrats, des hommes politiques. Ces gens là tiennent le système et ils tiennent aussi les journalistes qui, par paresse, préfèrent se censurer et ne parlent pas de ces histoires. Clearstream a tout intérêt à communiquer autour des plaintes qu'ils font contre moi car les gens entendent « une nouvelle plainte contre Denis Robert », mais ils n'entendent pas que je gagne mes procès. Je n'accepte pas les médiations, les trucs comme ça. Moi je veux qu'on dise que j'ai raison ! Mais s'ils me foutent la paix, je leur fous la paix. Ma vie est ailleurs que chez Clearstream. Mais il y a un côté très con et très revanchard chez les Luxembourgeois.
Technikart : A ce point ?
D.R : Oui, il doit y avoir quelques vieux notables là bas qui ne supportent pas qu'un gauchiste comme moi, pensent-ils, ai attaqué leurs institutions. Entre justice et Luxembourg, il y a une antinomie langagière, c'est une dictature bancaire avant d'être une démocratie, c'est un pays qui ne vit que sur la magouille bancaire. J'ai dénoncé des faits qui ont été avérés et ils n'ont jamais enquêté la dessus. Parfois ils ont quelques enquêtes qui leur servent d'alibis mais rien de plus. Dans cette histoire, je me dis quand même que le temps joue pour moi.
Technikart : Comment ça ?
D.R : Oui, du fait que les gens qui lisent mes livres intègrent le fait que je dis la vérité. C'est la meilleure chose contre la mauvaise foi des colonnes du « Monde ». Mes livres se vendent à vingt, trente milles exemplaires et même s'ils auraient dû se vendre cent fois plus, ils sont traduits dans de nombreux pays. Tout cela se propage, les politiques se l'approprient. J'ai quand même mis le projecteur sur un endroit qui était noir et méconnu et je ne vois pas un tribunal normalement composé me condamner.
Technikart : Vous considérez vous toujours comme un journaliste d'investigation ?
D.R : Je ne me suis jamais considéré comme un journaliste d'investigation. Je vis de mes droits d'auteurs. Ce sont les autres journalistes qui me présentent comme cela. Même mon premier livre « Pendant les affaires, les affaires continuent », ce n'était pas un livre de journalisme. C'est l'écrivain qui racontait la vie du journaliste que j'étais. Après, on peut dire que je fais du journalisme à ma façon mais je fais sans doute plus oeuvre de journalisme que 95 % des journalistes du « Monde » ou de « Libé ». C'est bien parce que je ne suis pas journaliste que j'arrive à faire des enquêtes aussi fortes. Je suis dans un cheminement de compréhension.
Technikart : Vous ne croyez pas que le manque de réactions par rapport à votre travail s'explique également du fait que peu de gens arrivent à penser l'économie ?
D.R : Ce que je raconte n'est pas dur à comprendre mais ça bouleverse les croyances et les mythes fabriqués par les journalistes financiers qui sont soit disant sérieux mais qui paradoxalement ne disent pas le réel. Ils se basent sur des indices boursiers qui sont bidons, ils fabriquent une actualité qui est entièrement payée par la pub ou par les banques. Il y a une idéologie générale qui va dans le sens de la consolidation du système donc moi, le savoir que j'amène, ça les bouleverse. Mais j'ai raison et ils ont torts. Pourquoi ça n'a pas plus d'impact ? Il faut aller leur demander à eux, il est nécessaire que ces histoires restent dans l'ombre pour que ça puisse continuer. Ces journalistes là, quand on les titille trop, ils sont vite à court d'argument, ils s'énervent et vont chercher à pointer des erreurs qui d'ailleurs n'en sont pas.
Technikart : Clearstream continue aujourd'hui ses activités en toute impunité ?
D.R : Oui, aujourd'hui, il y a 107 pays qui ont des comptes chez Clearstream, dont plus de quarante paradis fiscaux. C'est un véritable poumon, c'est essentiel au fonctionnement de la finance parallèle. C'est d'ailleurs aujourd'hui cette finance parallèle qui a pris le pas sur l'autre.
Technikart : Vous voulez dire que la finance illégale est plus importante que les circuits économiques légaux ?
D.R : En astrophysique, vous avez cette idée que, lorsque vous regardez les étoiles, il y a la matière visible et la matière invisible. On a pourtant longtemps cru qu'il n'y avait pas de matière invisible. C'est en étudiant la mort des étoiles, ce qu'on appelle les supernova ou encore le temps que mets la lumière avant d'arriver à la Terre, on s'est rendu compte qu'il y avait une résistance. Quand le physicien qui a inventé ce concept de matière noire de l'univers dans les années 30, en disant que l'anti-matière était bien plus important, à hauteur de 90 %, il s'est affronté à un déni collectif. C'est devenu un paria, il a du s'exiler aux Etats-unis mais l'avenir lui a donné raison.
Technikart : Et alors ?
D.R : Eh bien pour la finance, c'est la même chose. De l'univers financier, on ne nous renvoie qu'une lumière codée, connue, tels que les indices boursiers, les bilans etc. Ce que l'on n'a jamais pris en compte, c'est l'argent noir. Le commerce de drogue, ça représente 10 % de la masse financière. Cet argent rentre par endroit dans l'économie des systèmes démocratique. Il y a une matière noire, une anti-matière de la finance comme pour l'univers.
Technikart : Toute cette abstraction ne nuirait-elle pas à l'identification qu'il doit y avoir dans le processus d'information ? Un salarié lambda ne comprend peut être pas qu'elle influence ces mouvements financiers peuvent avoir sur sa vie.
D.R : C'est pour ça que j'ai fais le film, « L'affaire Clearstream raconté à un salarié de Daewoo ». En enquêtant, cela m'a semblé évident que c'était pour ces raisons que les usines fermaient. Je me suis souvent demandé où partait l'argent. Et le chaînon manquant entre ces entreprises et le salarié licencié, c'est Cleastream. Toutes ces affaires que je dénonce provoquent ces victimes là. On a beau dire que certains taux boursiers grimpent, ce qu'on peut observer, c'est par exemple qu'à Metz, il y a 15 ans, il y avait cinq SDF, ils sont aujourd'hui 500. On en enterre facilement une centaine dans la fosse commune chaque année. Ce sont des faits objectifs mais aussi des vérités inaudibles pour ces dirigeants.
Entretien Vincent Cocquebert
1 Comments:
Que c'est bon de savoir pour quels connards on travaille.
Eux qui vivent sur la misère du monde et qui la maintiennent toujours plus vivante !
Eux qui voudraient nous dire comment il faut vivre, qui mettent des structures et des barrières partout histoire de ne pas remonter jusqu'à eux !
Eux qui compliquent tout juste pour tout maitriser !
Clearstream , FMI , Banque mondiale , etc... Honte à eux tous !
Gloire a vous !!
Vous m'avez revitalisé pour 80 ans !
Un anonyme qui suit votre actualité de près
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