B.Langlois, achetez la Domination du monde, lisez-le, faites-le lire autour de vous. Rejoignez le fan club de Robert le fou !
Comment un romancier choisit-il le nom de son héros ? Sans doute pas au hasard. Un écrivain, enraciné comme l’est celui-ci dans les marches de l’Est, ne baptise pas son personnage « Klébert » sans avoir pensé à Jean-Baptiste, le général révolutionnaire de l’armée des Ardennes, héros de Fleurus, sabreur des guerres vendéennes, compagnon de Bonaparte pendant la campagne d’Égypte, et son plus redouté rival. Qui sait si ce n’est pas lui qui serait devenu empereur, s’il n’était mort en 1800 au Caire, assassiné par un étudiant en théologie (oui, déjà...) ? Je sais, Kléber le général s’écrit sans t au bout. Seule petite différence d’avec Yvan Klébert, le journaliste du dernier roman de Denis Robert (1), qui, comme son presque homonyme, mène ses assauts sabre au clair avec un courage frisant l’inconscience [« Le fer heurtant le fer/La Marseillaise ailée et volant dans les balles/Les tambours, les obus, les bombes, les cymbales/Et ton rire, ô Kléber. » (Victor Hugo)].
Kleber, Klébert, pour sûr. Et si c’est pas voulu, c’est l’inconscient qui travaille !
Mais Klébert sonne aussi comme Kepler (1571-1630), le génial astronome qui énonça les lois du déplacement des planètes et calcula la durée de leurs révolutions.
Yvan Klébert, Johannes Kepler. Et tiens, voilà qu’on découvre, au fil du roman, que le journaliste est aussi un passionné d’astronomie. En enquêtant sur la face cachée de l’économie financière mondialisée, l’évidence lui a sauté aux yeux : comme il y a une antimatière, une « matière noire » de l’univers, qui explique la trajectoire des galaxies, il existe une antimatière de la finance, invisible, dissimulée au commun des mortels, où s’engloutissent des pans entiers de la richesse du monde, au profit d’une poignée d’initiés : « Il pense à Fritz Zwicky. Rarement il s’est senti aussi proche de l’astrophysicien. Il se dit qu’il n’est pas loin d’éprouver ce que Zwicky a dû ressentir quand, dans l’oeil de sa lunette, il a aperçu sa première supernova. Et ainsi compris que l’Univers était beaucoup plus vaste que ce qu’en disaient ses confrères. Un nouveau territoire encore inexploré... Dans le cas de l’univers financier, on s’épuise, à longueur d’articles, de débats politiques ou judiciaires, à évoquer les méfaits du crime organisé ou l’existence d’une très lointaine et mystérieuse finance parallèle. Les yeux rivés sur son écran, à surfer sur ces milliers de comptes, cette finance parallèle défile enfin sous ses yeux. Elle existe. Ce n’est plus une hypothèse. Il peut la lire et la toucher. »
Ce qu’Yvan Klébert a découvert et s’époumone à crier à la face du monde, c’est que l’argent du crime, des mafias, des drogues, de la prostitution, des ventes d’armes, celui aussi des dictateurs, des sectes, des barbouzeries en tout genre... se blanchit, se recycle, se régénère (non sans une déperdition mahousse, qui n’est pas perdue pour tout le monde), que cette « matière noire » entre dans la matière blanche de l’économie officielle ; et que les blanchisseries sont là, sous nos yeux, honorables établissements ayant pignon sur rue. Avec la complicité des États, des institutions, des politiques, qui, au mieux, préfèrent regarder ailleurs.
Ce qu’il nous crie, c’est que « le capitalisme est devenu clandestin ». Et qu’il est en train de détruire ce que nous appelons sans rire une civilisation.
Mise en abyme
Voici donc qu’un beau jour Yvan Klébert déboule sans crier gare chez un ami de trente ans à peu près perdu de vue depuis la fac. Le narrateur. Qui n’est pas nommé. Il est psychanalyste, ce drôle de métier qui consiste à « simplement ouvrir les yeux sur cette évidence qu’il n’y a rien de plus cafouilleux que la réalité humaine » (Lacan). Sa petite vie tranquille, « douce et studieuse », va se trouver bouleversée par ces retrouvailles.
Le procédé littéraire de la Domination du monde est ce qu’on appelle une « mise en abyme. » L’auteur est tout à la fois Klébert, le journaliste intrépide engagé dans son combat à mort contre le capitalisme clandestin, et le narrateur, que son ami charge de la périlleuse mission de reprendre le flambeau. En gros : voici les preuves, voici les pièces, j’ai échoué à changer le monde, à toi de jouer. Mes bouquins ont fait flop, on a tenté de me discréditer, de me faire taire par tous les moyens. La fille qui m’aidait est morte dans un accident de la route, dont je suis persuadé qu’il est un assassinat camouflé. Je suis au bout du rouleau, trop exposé pour continuer, à toi de jouer. Raconte mon histoire, ma bagarre, sous une forme romancée, qui sera peut-être plus efficace que mes austères essais. Cadeau !
Je ne vais pas vous gâcher le plaisir de la lecture. La forme est celle d’un polar de bonne facture. Chapitres courts. Écriture sèche, efficace. Et trousseau de clés...
Robert le fou
Denis Robert est fou. Cet ancien journaliste de Libération s’est lancé, voici quelques années, dans une aventure à hauts risques. En enquêtant sur une grande banque luxembourgeoise, Clearsteam, spécialisée dans les activités de compensation interbancaires (virements informatiques de comptes à comptes), il a mis la main sur ses comptes cachés, ses écritures effacées, les preuves de son activité de blanchiment d’argent sale.
Il a tout raconté dans un essai, Révélation$ (2), qu’on vous a chaudement recommandé en son temps, mais que la « grande presse » a soigneusement étouffé. Ou jugé irrecevable, exagéré, non fiable. Épaulé par un éditeur courageux, Laurent Beccaria (qui est aussi l’éditeur de Verschave, ce n’est pas sans rapport), Robert s’est battu comme un diable, a multiplié les débats dans les cercles militants, appuyé son livre par un film (diffusé sur Canal +, coup de chapeau au passage à l’ami Moreira...), puis un autre livre, la Boîte noire (3), qui prolonge et éclaire le premier. Non sans résultats : une enquête parlementaire (Montebourg et Peillon) a largement confirmé ses dires, le patron de Clearsteam a giclé. Puis, plus rien. La vie continue, et les pratiques occultes. Et Robert fait face, avec son éditeur, à des emmerdements judiciaires à répétition (4). Il gagne, du reste, ses procès : mais l’adversaire a les moyens et ne le laisse pas en paix. Bataille épuisante, coûteuse, admirable. Cette fois, après ceux de la banque-lessiveuse (toujours pendants en appel), c’est aux assauts de l’État luxembourgeois qu’il se trouve confronté. Mouillé jusqu’à l’os, le Grand Duché (dont le ministre de la Justice est aussi celui du Trésor et du Budget !) assigne le journaliste-écrivain. Denis Robert a besoin qu’on l’aide à tenir, il le mérite amplement. Une pétition est en cours pour exiger qu’on lui lâche la grappe (5). Signez-la, faites-la signer (et demandez-vous au passage pourquoi tous ces farouches défenseurs de la liberté d’expression, si actifs ces temps-ci quand il s’agit de Mahomet, tardent à monter au créneau dans un combat qui concerne bien davantage notre société, nos valeurs, notre démocratie...).
Et surtout, achetez la Domination du monde, lisez-le, faites-le lire autour de vous. Rejoignez le fan club de Robert le fou !
Bernard Langlois, Politis
Comment un romancier choisit-il le nom de son héros ? Sans doute pas au hasard. Un écrivain, enraciné comme l’est celui-ci dans les marches de l’Est, ne baptise pas son personnage « Klébert » sans avoir pensé à Jean-Baptiste, le général révolutionnaire de l’armée des Ardennes, héros de Fleurus, sabreur des guerres vendéennes, compagnon de Bonaparte pendant la campagne d’Égypte, et son plus redouté rival. Qui sait si ce n’est pas lui qui serait devenu empereur, s’il n’était mort en 1800 au Caire, assassiné par un étudiant en théologie (oui, déjà...) ? Je sais, Kléber le général s’écrit sans t au bout. Seule petite différence d’avec Yvan Klébert, le journaliste du dernier roman de Denis Robert (1), qui, comme son presque homonyme, mène ses assauts sabre au clair avec un courage frisant l’inconscience [« Le fer heurtant le fer/La Marseillaise ailée et volant dans les balles/Les tambours, les obus, les bombes, les cymbales/Et ton rire, ô Kléber. » (Victor Hugo)].
Kleber, Klébert, pour sûr. Et si c’est pas voulu, c’est l’inconscient qui travaille !
Mais Klébert sonne aussi comme Kepler (1571-1630), le génial astronome qui énonça les lois du déplacement des planètes et calcula la durée de leurs révolutions.
Yvan Klébert, Johannes Kepler. Et tiens, voilà qu’on découvre, au fil du roman, que le journaliste est aussi un passionné d’astronomie. En enquêtant sur la face cachée de l’économie financière mondialisée, l’évidence lui a sauté aux yeux : comme il y a une antimatière, une « matière noire » de l’univers, qui explique la trajectoire des galaxies, il existe une antimatière de la finance, invisible, dissimulée au commun des mortels, où s’engloutissent des pans entiers de la richesse du monde, au profit d’une poignée d’initiés : « Il pense à Fritz Zwicky. Rarement il s’est senti aussi proche de l’astrophysicien. Il se dit qu’il n’est pas loin d’éprouver ce que Zwicky a dû ressentir quand, dans l’oeil de sa lunette, il a aperçu sa première supernova. Et ainsi compris que l’Univers était beaucoup plus vaste que ce qu’en disaient ses confrères. Un nouveau territoire encore inexploré... Dans le cas de l’univers financier, on s’épuise, à longueur d’articles, de débats politiques ou judiciaires, à évoquer les méfaits du crime organisé ou l’existence d’une très lointaine et mystérieuse finance parallèle. Les yeux rivés sur son écran, à surfer sur ces milliers de comptes, cette finance parallèle défile enfin sous ses yeux. Elle existe. Ce n’est plus une hypothèse. Il peut la lire et la toucher. »
Ce qu’Yvan Klébert a découvert et s’époumone à crier à la face du monde, c’est que l’argent du crime, des mafias, des drogues, de la prostitution, des ventes d’armes, celui aussi des dictateurs, des sectes, des barbouzeries en tout genre... se blanchit, se recycle, se régénère (non sans une déperdition mahousse, qui n’est pas perdue pour tout le monde), que cette « matière noire » entre dans la matière blanche de l’économie officielle ; et que les blanchisseries sont là, sous nos yeux, honorables établissements ayant pignon sur rue. Avec la complicité des États, des institutions, des politiques, qui, au mieux, préfèrent regarder ailleurs.
Ce qu’il nous crie, c’est que « le capitalisme est devenu clandestin ». Et qu’il est en train de détruire ce que nous appelons sans rire une civilisation.
Mise en abyme
Voici donc qu’un beau jour Yvan Klébert déboule sans crier gare chez un ami de trente ans à peu près perdu de vue depuis la fac. Le narrateur. Qui n’est pas nommé. Il est psychanalyste, ce drôle de métier qui consiste à « simplement ouvrir les yeux sur cette évidence qu’il n’y a rien de plus cafouilleux que la réalité humaine » (Lacan). Sa petite vie tranquille, « douce et studieuse », va se trouver bouleversée par ces retrouvailles.
Le procédé littéraire de la Domination du monde est ce qu’on appelle une « mise en abyme. » L’auteur est tout à la fois Klébert, le journaliste intrépide engagé dans son combat à mort contre le capitalisme clandestin, et le narrateur, que son ami charge de la périlleuse mission de reprendre le flambeau. En gros : voici les preuves, voici les pièces, j’ai échoué à changer le monde, à toi de jouer. Mes bouquins ont fait flop, on a tenté de me discréditer, de me faire taire par tous les moyens. La fille qui m’aidait est morte dans un accident de la route, dont je suis persuadé qu’il est un assassinat camouflé. Je suis au bout du rouleau, trop exposé pour continuer, à toi de jouer. Raconte mon histoire, ma bagarre, sous une forme romancée, qui sera peut-être plus efficace que mes austères essais. Cadeau !
Je ne vais pas vous gâcher le plaisir de la lecture. La forme est celle d’un polar de bonne facture. Chapitres courts. Écriture sèche, efficace. Et trousseau de clés...
Robert le fou
Denis Robert est fou. Cet ancien journaliste de Libération s’est lancé, voici quelques années, dans une aventure à hauts risques. En enquêtant sur une grande banque luxembourgeoise, Clearsteam, spécialisée dans les activités de compensation interbancaires (virements informatiques de comptes à comptes), il a mis la main sur ses comptes cachés, ses écritures effacées, les preuves de son activité de blanchiment d’argent sale.
Il a tout raconté dans un essai, Révélation$ (2), qu’on vous a chaudement recommandé en son temps, mais que la « grande presse » a soigneusement étouffé. Ou jugé irrecevable, exagéré, non fiable. Épaulé par un éditeur courageux, Laurent Beccaria (qui est aussi l’éditeur de Verschave, ce n’est pas sans rapport), Robert s’est battu comme un diable, a multiplié les débats dans les cercles militants, appuyé son livre par un film (diffusé sur Canal +, coup de chapeau au passage à l’ami Moreira...), puis un autre livre, la Boîte noire (3), qui prolonge et éclaire le premier. Non sans résultats : une enquête parlementaire (Montebourg et Peillon) a largement confirmé ses dires, le patron de Clearsteam a giclé. Puis, plus rien. La vie continue, et les pratiques occultes. Et Robert fait face, avec son éditeur, à des emmerdements judiciaires à répétition (4). Il gagne, du reste, ses procès : mais l’adversaire a les moyens et ne le laisse pas en paix. Bataille épuisante, coûteuse, admirable. Cette fois, après ceux de la banque-lessiveuse (toujours pendants en appel), c’est aux assauts de l’État luxembourgeois qu’il se trouve confronté. Mouillé jusqu’à l’os, le Grand Duché (dont le ministre de la Justice est aussi celui du Trésor et du Budget !) assigne le journaliste-écrivain. Denis Robert a besoin qu’on l’aide à tenir, il le mérite amplement. Une pétition est en cours pour exiger qu’on lui lâche la grappe (5). Signez-la, faites-la signer (et demandez-vous au passage pourquoi tous ces farouches défenseurs de la liberté d’expression, si actifs ces temps-ci quand il s’agit de Mahomet, tardent à monter au créneau dans un combat qui concerne bien davantage notre société, nos valeurs, notre démocratie...).
Et surtout, achetez la Domination du monde, lisez-le, faites-le lire autour de vous. Rejoignez le fan club de Robert le fou !
Bernard Langlois, Politis
1 Comments:
...Et pendant ce temps là, N.MENIGON et ses potes crèvent en taule, pour expier LE plus grand Crime: s'en prendre violemment à ceux qui dispensent LA Violence.
Celle de l'Etat, ou ce qu'il en reste , qd tout se passe à l'OMC et chez CARLISLE, ou dans les burös feutrés de HALLIBURTON.
Qd Denis R. aura claqué d'une bonne "crise cardiaque" (comme le patron d'Ernest), dans l'indifférence g.ale de lafinale de la STARAK, ne sera t-il pas temps de se transformer en sniper ? .......
Enregistrer un commentaire
<< Home